Caleb R. Raichan [Terminée]

« Grand frère, crois tu que les gens changent avec le temps ? » Demanda sa petite sœur, allongée sur la verte pelouse du champ, voisin à leur maison. Souriant, Caleb mordilla dans sa brindille, gardant le silence, pour énerver sa parente. Cela ne manqua pas, car elle grogna son mécontentement. « Tu veux bien me répondre ? » s’agaça-t-elle avant de comprendre qu’il se moquait ouvertement d’elle. « Je crois... » commença-t-il, « tu crois ? » reprit-elle, « Je crois que nous ne changeons pas, nous nous adaptons avec le temps » termina-t-il.

Cette explication sembla plaire à sa petite sœur car elle repartit à sa contemplation du ciel sans plus se soucier de lui. La journée était magnifique pour eux. Pas de dur travail au champ, pas de parents sur le dos pour les marier, juste eux. Le frère et la sœur avaient développé très jeunes, une grande affection pour l’autre. Ainsi qu’un lien protecteur pour Caleb. Sa sœur était tout ce qu’il possédait de plus beau, de plus merveilleux en ce monde. L’idée même qu’elle soit menacée, qu’elle meurt, lui était insupportable. Aussi, déclinait-il tous les plans de mariage que sa mère concoctait pour lui. Caleb voulait rester libre. Libre de ses actes, de ses pensées, de sa vie.

« A quoi penses-tu ? » le questionna Näina sur un ton léger, de celui qui signifie qu’elle fait mine de s’en moquer tout en attendant une réponse. « A toi, à ma vie, à tout ce qui nous séparera. » Murmura-t-il. Näina se redressa sur un coude avant de venir s’allonger près de lui, posant sa tête sur son ventre. D’une main attentionnée, il commença à lui caresser sa soyeuse chevelure, tout en promenant son regard loin dans le ciel. « Rien ne nous séparera, on restera pour l’éternité ensemble. » Caleb s’amusa de sa réponse, lâchant un petit rire. Il ne croyait ni en ce Dieu que tout le monde vénère, ni en l’éternité. « Ne te moque pas de moi » Râla Näina en le pinçant. « Pardon. » S’excusa-t-il.

« Caleb, Näina, rentrez à la maison tout de suite ! » S’écria la voix de leur mère avant de reprendre pour elle « c’est deux là, toujours en train de paresser. » Les deux parents se regardèrent avant d’éclater de rire et de se relever. Caleb signala à sa sœur de partir devant. Il avait envie de prendre son temps. Depuis la nuit des temps, du moins sa naissance, le jeune homme qui atteignait maintenant l'âge de vingt ans, appréciait le calme et la solitude. Ce dernier trait l'handicapait grandement dans la mesure où, il ne se liait à personne. Seule sa sœur avait le privilège d'atteindre son cœur. C'était un amour des plus platonique entre eux mais, qui restait toutefois, des plus purs. Entre eux, un lien fusionnel existait et rien d'autre ne comptait pour lui.

Sa mère, qui les élevait seule depuis la mort de leur père, cherchait surtout à leur assurer un avenir. Pour Näina, il était tout tracé. Un homme de bonne famille, désirait la prendre pour épouse. Caleb se réjouissait tout en éprouvant le contraire. Aucun homme ne serait bon pour elle. Néanmoins, il ne faisait pas d'esclandre surtout que Näina semblait l'apprécier. Plus que les autres candidats avant lui. Quant à lui, il ne savait pas réellement. Paysan, militaire. Deux choix possibles. Mais aucun des deux choix ne l'attirait. L'idée de travailler dans les champs ne lui convenait pas et celle de tuer des inconnus encore moins. Caleb désirait voyager, apprendre le monde et ses facettes. Apprendre et toujours apprendre. Malheureusement, la pauvreté dans laquelle il vivait, obscurcissait son avenir. Il en avait conscience et ne luttait donc pas en conséquence. On pouvait prendre cela pour de la lâcheté. Cela en était, très certainement mais Caleb vivait avec son temps, ne se souciant que très peu des convenances. Surtout, il n'allait pas aux devants des problèmes. Il préférait les contourner. C'est pourquoi, la fatalité jouait grandement dans son univers.

«La liberté n'existe que là où l'intelligence et le courage parviennent à mordre sur la fatalité.» tonna une voix dans son esprit. Celle de son père. Caleb senior était un homme passionné par la connaissance qui avait transmis ce gout à son fils. Toutefois, il était conscient du manque d'ambition de la chaire de son sang. Aussi, lui répétait-il toujours cette phrase en le couchant après une longue journée de travail. Au fil des années, elle s'était inscrite en lettre de feu, en son fort intérieur. « Que dois-je faire papa? Quelle route suivre ?» murmura-t-il en observant le ciel. Sa mère l'appela à nouveau, sur un ton qui ne souffrait pas de contestation. Sa minute de solitude venait se s'achever.

« Tu ne peux pas venir plus vite quand je t'appelle? Vous allez me faire tourner chèvre tous les deux. Moi qui suis seule à vous élever, qui travaille dur pour assurer votre avenir, moi..» continua-t-elle d'énumérer sur un ton plaintif. Son fils s'approcha d'elle et déposa un baiser sur sa joue, lui arrachant un sourire. Il avait toujours le don de lui ôter les mots de la bouche. Comme son père le faisait avant lui. «Le futur mari de ta sœur est à la maison, faisons lui honneur mon enfant et surtout, tiens toi tranquille.» . Caleb se contenta d'hocher la tête. Pendant les heures qui suivront, il allait devoir faire semblant d'être heureux. Heureux que cet inconnu vienne dans leur maison, prenne sa sœur, son unique trésor.

Si seulement, il possédait des terres, du bétail. Il n'était rien qu'un paysan et face à cet homme riche et influent, il ne pouvait rien faire. Un regard de Näina l'apaisa. Tout se passerait bien. Le destin était en marche et plus rien ne pourrait l'arrêter. Qui aurait pu penser que le destin prendrait les traits d'un ange ? Certainement pas Caleb Rohan Raichan. Mais ceci est une autre histoire.

Mexico-Tenochtitlan, la ville où il était né avant de grandir non loin de là, dans une petite ferme. Caleb R. Raichan était ce que les historiens appelaient un Mexicas (ou futurs aztèques), ceux de Mexico en nahuat. Du moins jusqu'à la fondation de la cité en 1325. De tribu nomade, son peuple vivait désormais dans un empire qui s'étendait sur un vaste territoire. Tout cela en l'espace de 200 ans. Pour Caleb, tout cela importait peu. Il vivait selon une routine bien définie. Chaque jour, il se levait, effectué le même rituel. Un ami, et collègue –si le terme peut-être employé, le bousculait de sa paillasse pour le réveiller. L'homme qui atteignait désormais la trentaine, grognait son mécontentement avant d'obtempérer et de s'habiller de son "uniforme" de garde. Dix ans s'étaient écoulés depuis la fameuse visite du prétendant de sa sœur. Cette dernière était devenue une très belle femme, mariée à une figure importante de la cité et mère de trois enfants. Caleb n'avait pas vu Näina depuis cinq ans, et cette absence dans sa vie, lui avait forgé un tout nouveau caractère.

Loin de l'enfant calme, puis de l'adulte solitaire, le garde impérial avait développé une personnalité complexe et torturée. Fier, arrogant, solitaire, froid et intransigeant. Sa mère morte peu de temps après le mariage de sa fille, en aurait pleuré tant il ne ressemblait plus à son fils, si aimant. Les conquêtes impériales pour étendre leur territoire lui avait conféré une carapace que nulle personne n'arrivait à atténuer et encore moins à briser. Il vivait pour la guerre, pour sa mission. L'érudit s'était transformé par la force des choses en guerrier. «Viens, nous devons patrouiller dans la Cité aujourd'hui.» l'invita son ami en lui tendant un peu de nourriture. Caleb hocha la tête, sans plus. La ronde était la mission la plus banale que l'on pouvait lui donner mais au fond de lui, il était conscient que cela ne pouvait que lui faire du bien. Il ne comptait plus le nombre de cicatrice zébrant son torse et son dos. Ni, le nombre de fois que son ami lui avait sauvé la vie, et réciproquement. « Tout est bien calme.» énonça Caleb, d'un ton détaché. «La cérémonie pour notre dieu Quetzalcoatl» . Il hocha une nouvelle fois la tête. Pour une raison étrange, Caleb ne croyait pas en Dieu, cependant, il taisait cette opinion, de peur de finir comme sacrifice humain. Il tenait à la vie moyennement, mais il y tenait quand même. « Näina sera-t-elle là? Cela fait longtemps que tu ne l'as pas vu» tenta son ami pour le dérider mais il n'obtient jamais de réponse. Il y avait des sujets tabous pour Caleb et sa jeune sœur en faisait partie. Depuis la mort de leur mère et son engagement pour la garde impériale, leur rapport s'était dégradé. Chacun ayant à présent leur vie à mener. Néanmoins, avec nostalgie, il aimait se rappeler la phrase de sa sœur : nous serons pour l'éternité ensemble. Quelle naïveté touchante, n'est-ce pas?!

La journée se déroula en silence pour les deux gardes et aucun problème ne fut signalé. Une journée calme et reposante pour le soldat qui n'aspirait qu'à un peu de solitude, comme par le passé. Aussi, une fois tout le monde endormi, il sortit de sa paillasse et se diriger vers l'extérieur. Caleb appréciait la chasse. Lui qui n'avait jamais été attiré par tout ce qui touchait de près ou de loin à la terre, la culture des champs, la chasse, tous les travaux manuels pour ainsi dire. « Nous ne changeons pas Näina, nous nous adaptons» murmura-t-il en observant les étoiles. Dieu que sa sœur lui manquait, leur complicité. Elle était sa part d'humanité. La dernière. Marchant sans nul autre but que de s'aérer l'esprit, Caleb ne prenait pas garde à ce qu'il se passait autour. Cette erreur, cette seule erreur, lui fut fatale.

En face de lui se trouvait désormais une femme étrange, à la beauté surréaliste. C'était la première fois qu'il voyait une créature à la peau si pâle, aux cheveux blonds et aux yeux couleur ciel. Elle l'intriguait, elle l'envoûtait totalement. Le garde s'approcha d'elle, la menaçant tout de même de sa lance. L'inconnue semblait s'en amuser, laissant quelques mèches blondes s'envoler au grès du vent. « Qui êtes-vous? » lui demanda-t-il. Celle-ci rigola avant de se mettre à lui tourner autour. Tout son être se tendait face au danger, mais il était incapable de détourner son regard d'elle. «Qui crois-tu que je suis? » lui répondit-elle, simplement. Conservant le silence, Caleb planta son regard dans le sien. Il voulait comprendre. Sa soif de connaissance qui s'était tarie au fil des années et des expériences guerrières reprenait du feu du diable. « Etes-vous une déesse ? La vierge Coatlicue ?» la pressa-t-il.

Un grand éclat de rire fit écho à toutes ses questions. Toujours en lui tournant autour, elle s'approcha de lui. Féline, animale. Lui, totalement subjugué. « Veux-tu connaître la vérité jeune humain? » , Caleb pesa le pour et le contre, avant d'hocher la tête, tout à sa ferveur, à sa soif de connaissance. « Alors prépare toi à apprendre la Mort.» Avant qu'il n'est eu le temps de comprendre, d'analyser ce qu'elle venait de dire, l'apparition fondit sur son cou, transperçant sa jugulaire de ses crocs. «Näina» souffla une dernière Caleb avant de rendre les armes face à la mort. Puis ce fut une douleur sans pareille, tel le feu et la glace s'entrechoquant au plus profond de son âme. Souffrance, peur, envie de comprendre, tout se mélangeait. Est-ce que cette beauté incarnait l'intelligence et le courage et venait de mordre, lui, simple garde impérial qui représentait la fatalité? Son père avait-il raison?

Trois jours durant, qui lui parurent sans fin, Caleb souffrit le martyre, les yeux révulsés, la gorge irritée d'avoir hurlé sa douleur. Rien de ce qu'il avait connu ne se rapprochait de cette peine, de ce calvaire. A côté de lui, son bourreau le regardait avec le sourire, riant de temps en temps mais veillant sur lui, comme s'il était précieux. « Suis-je mort ?» furent les trois premiers mots qu'il prononça à son réveil. «Quelle réponse te satisferait? » . Répondrait-elle seulement un jour, à une de ces questions, songea-t-il avec humeur. Toutefois, sa mauvaise humeur se figea quand un malstrom de sensation se déversa en lui. De nouveaux horizons s'élevaient face à lui. Un nouveau monde teinté de regrets, de découvertes. « Apprends-moi» .

Oxana le regardait mutine, alors qu’il dévorait son premier repas. Le sang de sa victime coulait à flot dans sa gorge, le désaltérant, le nourrissant. Cette nouvelle expérience le désarçonnait. En voulant apprendre la vérité, la véritable nature de cette créature envoutante, il avait vendu son âme à Tezcatlipoca. « Alors, comment trouves-tu ton nouveau régime alimentaire ? » susurra-t-elle à son oreille. « Sanglant » rétorqua-t-il, calmement. Pourtant au fond de lui, la peur lui tiraillait les entrailles. La soif de sang, cette folie meurtrière qui avait peu à peu pris le pas sur sa raison. Caleb avait été une bête, un animal sauvage qui luttait pour sa survie au détriment d’un membre de son espèce. Son regard se voila avant qu’il ne lâche sa victime pour se reculer à une centaine de mètre, en un temps record. Comment pouvait-il ? Une partie de lui, continuait toutefois à vouloir en savoir plus, à découvrir tous les mystères de cette race dont elle parlait : les vampires. Le Mexicas n’en avait jamais entendu parlé. Pour lui, cela appartenait au monde des Dieux. Bien qu’il ne soit pas croyant, Oxana lui apparaissait comme une déesse. Maléfique, sournoise, inhumaine.

« Pourquoi cette peur que je lis dans ton regard ? Tu ne fais que participer à la chaîne alimentaire. Les animaux se mangent entre eux pour survivre. Les hommes mangent les animaux, nous, nous mangeons les hommes. Regarde la puissance, je t’offre l’immortalité, je mets à tes pieds toutes les connaissances que le monde peut porter. » Argumenta-t-elle en faisant de grands gestes avant de se radoucir, déposant sa main sur la joue ombrée du nouveau né. « Je t’offre le don de Dieu. Le droit de vie ou de mort. Tout ce que tu as toujours désiré, ne plus être un larbin, être au sommet de la Cité. Pourquoi tous ses remords ? Ses doutes ? » Poursuivit Oxana en l’enlaçant. Droit sur ses jambes, Caleb ne réagit pas tout de suite. Ce n’est qu’au bout de quelques secondes, qui semblèrent une éternité à la vampire, qu’il prononça d’une voix faible, un simple mot : « Ipalnemoani » . Celui par lequel nous visons.

Elle lui avait donné la vie. Non, elle lui avait volé son âme. Sa mère croyait en l’âme humaine et aux démons mangeurs d’âme. C’était un conte qu’elle leur racontait souvent pour les endormir. Dans sa croyance, lorsqu’un démon buvait le sang de sa victime, on disait qu’il s’appropriait son âme. Celle-ci devenait alors prisonnière de son bourreau jusqu’à la mort de celui-ci. Bien souvent, les âmes restaient les esclaves de leur Titlacauan. Oxana était son Titlacauan. Et lui, celui de sa victime. Un cercle vicieux qui ne cesserait jamais. « Je vais prendre ça pour un, je t’accompagnerai pour l’éternité et au-delà. » s’amusa la vampire enchanteresse. « Je suis ton esclave. Tant que tu détiendras mon âme, je serais ton obligé » répondit, tout aussi platement en posant sa main sur son torse, au niveau de son cœur, mort pour toujours.

Tapant dans ses mains, le regard d’Oxana brillait de fierté et d’impatience. Elle avait tellement de projet pour son nouveau né mais pour l’instant, elle devait se débarrasser des éléments perturbateurs. « As-tu de la famille ? » . Caleb ne chercha pas à analyser, son sourire parlait pour lui. Il lui parla alors de sa sœur, Näina. Une erreur qui allait lui couter cher. « J’ai compris ! » l’attaqua-t-elle avec humeur.

Oxana le quitta sur ses derniers mots, le laissant seul, désemparé. Caleb ne comprenait pas ce qu’il avait dit mais la pensée de sa petite sœur emplissait son esprit, occultant le reste. Il devait la voir. La prendre dans ses bras. L’idée même d’être un danger pour le dernier membre de sa famille encore envie. La vampire ne lui avait pas parlé de toutes les spécificités, sciemment ou non. Telle était la question.

Lorsque l’envie fut plus forte que tout, le vampire couru le plus vite possible. Le bonheur de voir sa sœur lui donnant des ailes. C’est alors qu’une odeur le frappa de plein fouet. Exquise, puissante, tellement aphrodisiaque. Ses yeux se teintèrent de noir, sous la soif. Terrible, insurmontable. Le vampire se laissa guider par la divine odeur, jusqu’à entrer dans une maison. Là, un terrifiant spectacle l’attendait. La fragrance qu’il avait senti quelques instants plus tôt n’était autre que le sang de sa petite sœur qui s’écoulait de la base de son cou, sous les crocs d’Oxana. « NON » cria-t-il, bousculant la vampire. Un rire sardonique s’éleva dans la maisonnée. Allongée dans ses bras, Näina était à moitié inconsciente, perdant toujours plus de sang. Lui, était figé, tiraillé par l’envie qui le saisissait à la gorge, et celle de sauver son trésor. La lumière dans les ténèbres. « C..Caleb » haleta-t-elle. « Qu’est…ce..se passe…Ce..démon..tes..yeux.. » Poursuivit-elle, avec difficulté. Son frère conservait le silence, son regard figé sur la carotide de la mourante. « Qu’attends-tu ? Tues là ! Tu meurs d’envie de boire de ce sang, ce nectar délicieux. » Murmura Oxana à son oreille, tout en caressant la joue de l’humaine. « Bois ! »

Les yeux de Näina se voilèrent de souffrance avant qu’Oxana ne perde patience, plantant à nouveau ses crocs dans le cou de la mortelle. Sans réaction, Caleb laissa le corps sans vie s’échapper de ses bras. Son rayon de soleil, l’humanité qui résistait en lui, venait de s’éteindre sous un dernier murmure de l’agonisante « Pour l’éternité grand frère » . L’horreur, la douleur le frappa de plein fouet et il s’en alla. Quittant cette maison, cet enfer. Elle lui avait volé son âme, celle de sa sœur. Jamais, cette dernière ne connaitrait la paix. De sa faute, de sa faiblesse.

« Allons-y, notre vie ne fait que commencer, Caleb. » C’est sur ses mots que commencèrent un siècle de meurtre, de carnage et de désespoir pour Caleb Rohan Raichan. Dernier descendant de la famille Raichan, devenu esclave épris de liberté.

« Autour des ombres infidèles, risquer ma vie à chaque instant. Et pendant que d'autres sommeillent gagner du terrain et du temps » murmura Caleb regardait les étoiles, sur le toit d’une ferme, quelque part, dans un pays étranger. Le temps avait passé depuis un siècle mais rien n’avait véritablement changé pour lui. Son peuple avait changé, la vie avait suivit son cours, il ne connaissait plus personne. Tout le monde était mort. Ses supérieurs, l’empereur, son ami, sa sœur. Il ne restait plus que lui et elle. Son bourreau, son amante. Entre ses doigts fins, il devenait toujours un peu plus son jouet. « Toujours la tête dans les étoiles, Caleb ? » s’exclama cette voix familière. Tournant la tête vers Oxana, Caleb la détailla un instant avant de retourner à la contemplation du ciel étoilé. Il ne se laissait jamais de cette vision. Cela l’apaisait, le comblait, lui rappelait tant le doux sourire de sa Näina. « Tu m’as manqué Rohan, ces deux jours furent une éternité. Je t’aime tellement mon Rohan. » L’embrassa-t-elle, sans obtenir la moindre réaction.

Encore une chose qui avait changé. Cet amour dont elle l’assaillait. Vide et froid comme la glace qui mettait son corps en émoi bien malgré lui. Réaction conditionné à cette tendre violente. Des mots qui coulaient sur lui comme la rivière sur la pierre. Comment pouvait-elle exiger un tel dévouement ? En tuant son humanité, elle s’était ôté toutes les chances de conquérir le cœur du guerrier. Un cœur froid, aride, bercé par la violence, qui résonnait sous l’assaut de ses crimes. Une étrange relation s’était établie entre eux. Elle, son voleur d’âme, la personne qui le retenait esclave auprès d’elle. Lui, l’esclave qui subissait avec répugnance et envie les assauts sensuels de cette déesse. « Je ne t’ai pas manqué ? » demanda-t-elle, sachant pertinemment la réponse. « Non » . Froid, direct. Caleb se releva, conservant le visage relevé vers le ciel. Dans la pénombre de la nuit, sa peau paraissait fantomatique, lui conférant une aura de mystère et de danger.

« Il y a un groupe de vampires un peu plus loin, allons-y, et combattons ensemble. Ecrasons cette vermine. Ils ne sont que trois, dont deux femelles. Nous n’aurons aucun mal à les battre. » Invectivait sa compagne, les babines retroussées, prête pour le combat. Caleb acquiesça, suivant cette ombre, ce démon. Cette envie meurtrière allait sceller son destin, provoquer l’un des plus beaux jours de sa non existence. Son passage de l’ombre à la lumière.

« ROHAN ! Aides moi ! ROHANNN » fut le dernier cri que prononça cette voix chérie et haï à la fois. Ce trio n’était pas si inoffensif que cela. Son désir de pouvoir venait de lui être fatal, et lui… Caleb tomba à genoux, se soumettant une dernière fois, avant sa mort, avant sa délivrance. L’un des vampires, une femme blanche, dont les cheveux blonds et ses yeux bleus lui rappelèrent sa première rencontre avec Oxana s’approcha de lui. Allait-elle être celle qui mettrait fin à son calvaire ? « Tu as le choix. Mourir en nous combattant, ou te rendre. » Énonça-t-elle, d’une voix froide. Le vampire baissa la tête, son poing serré contre son sa poitrine, en signe de reddition. Un soldat sait reconnaître sa défaite et se rendre. « Sage décision » fit-elle en le voyant rendre les armes, « Je me nomme Vilde Agnarsson, du clan des Ragnaröck. Nous voulons bien t’accepter dans notre clan si tu te montres à la hauteur de nos attentes, mais sache que tu devras accepter et te soumettre à nos règles. » Reprit-elle après un regard envers ses compagnons. Caleb releva le visage, grave. « Vous m’avez rendu ma liberté et permis après un siècle, à l’âme de ma sœur de reposer en paix. Je vous en remercie et serez pour l’éternité reconnaissant mais je ne désire me soumettre à nouveau à une quelconque autorité. Je veux être libre. Nos chemins se recroiseront peut-être à nouveau si tel en a décidé mon Dieu mais pour aujourd’hui, je souhaite rester le maître de ma vie. »

Caleb se releva souplement, dardant son regard dans celui de celle qui venait de lui adresser la parole. Il hocha lentement de la tête pour les saluer avant de s’éloigner rapidement. Libre. Après plus d’un siècle, il venait de recouvrer la main mise sur son existence. Un sourire bestial étira ses lèvres. L’ère du vampire Caleb Rohan Raichan venait de commencer. Une errance de plus de trois cent quatre ans. Trois siècles à protéger son peuple, sa civilisation tout en étant témoin de la folie humaine. Trois siècles de guerre, de meurtres, de bain de sang. Trois siècles de violence qui lui firent oublier à nouveau sa soif de connaissance. Plongé dans les ténèbres, Caleb devint un animal indomptable, aux reflexes meurtriers, où violence rime avec existence.

La rencontre avec le clan Ragnaröck se transforma en souvenir, puis fut oubliée. A l’instar de ses mots. Jusqu’au jour où sa route croisa à nouveau la leur. La donne avait changé, il n’était plus le dernier survivant d’un duo vampirique. Il était seul, en pleine possession de ses moyens. Il se dressait devant eux, fier, en guerrier mais sans intention meurtrière. Sa reconnaissance toujours présente en lui. La proposition fut à nouveau tentée par cette vampire qui voyait en lui, un vampire égaré. Elle lui offrait une porte de secours, un autre monde. Un autre mode de vie. « J’accepte ».

«Trois cent ans se sont encore écoulés depuis que j’ai accepté l’offre de Vilde Agnarsson. J’ai découvert un clan, une autre façon de vivre, comme elle me l’avait promis. Ce ne fut pas simple de m’habituer à un nouveau régime alimentaire, à une vie plus sereine où la violence ne tenait pas le devant de la scène. J’ai longtemps cru que je renoncerai, que je n’étais plus fait pour cette vie mais j’ai trouvé des compagnons fidèles parmi ces vampires. Et puis, elle était là. Vilde.

Cette vampire, non cette femme me rappelait à la fois ma mère, ma sœur et Oxana. La première pour son amour et sa protection, la deuxième pour sa douceur et son orgueil et la dernière pour sa capacité à se battre pour défendre ses idéaux. Grâce à elle, je n’ai pas faiblit, même quand la tentation devenait insoutenable.

Au fil des années, j’étais devenu comme son obligé mais plus jamais esclave. Je la respectais et la respecte toujours avec la même ferveur et je suis devenu, dans l’ombre, son protecteur. Elle, qui fait passer les autres membres de son clan, les considérant presque comme ses enfants. J’étais donc décidé à tout faire pour la protéger, même me sacrifier. Pour qu’elle continue son combat, qu’elle ne perde jamais cette flamme.

La seule chose que je peux lui reprocher, c’est sa manie à me manipuler pour que je l’accompagne de temps à autre à la ville. Je hais les êtres humains. Ils sont trop mortels à mon goût. Je ne désire plus m’attacher, ou lier mon existence. Je désire rester libre et maître de ma vie. C’est pourquoi, à la moindre occasion, je me terre au manoir pour vaquer à mes occupations. Apprendre, toujours apprendre. Les langues, les coutumes, les civilisations. Rien ne me rassasie.

Depuis quelques mois, nous habitons une autre ville. Babylon. Petit village que l’on pensait calme et idéale pour mener une vie « sociable » tout en conversant notre anonymat. On se trompait. De vie paisible, nous sommes passés à une guerre ouverte avec deux autres clans. L’un se nomme les Black Blood, l’autre, composé de nouveaux nés. Je sens en moi, l’âme du guerrier se réveiller, enivré par toute cette agitation. Le combat approche.

Au fond de moi, la peur réside. Je ne désire pas retomber dans cet enfer mais la paix qui m’habite vacille. Par quel miracle tient-elle encore debout ? Je l’ignore. Peut-être que ce microbe me permet de retrouver un semblant de normalité, de calmer la bête en moi.

Arielle ou l’art de me mettre en rogne par un surnom débile, de provoquer les bagarres rien que par une dispute. Il nous arrive souvent d’arriver aux mains, et nous ne comptons plus vraiment les arbres déracinés à cause de nos batailles. Malgré tout cela, j’avoue que sa présence m’apaise. Ce petit bout de femme m’intrigue et m’amuse en même temps. Surtout qu’il est tellement facile de la faire sortir de ses gonds.

En même temps, il est de nature publique que je suis le râleur de service, l’empêcheur de tourner en rond, le vampire qui est toujours de mauvaise humeur. En un mot comme en cent, moi. »