Emery R. McHunt -Terminée

Dans une imposante maison, un hurlement d’agonie se fit entendre. Les domestiques courraient dans tous les sens, sous les autres du majordome. Au dehors, la tempête faisait rare sur la ville de Glasgow, empêchant le médecin de famille d’arriver à temps pour aider, soulager la douleur de Madame McHunt. Cette dernière se tordait de douleur en hurlant, le visage rougit sous l’effort qu’elle produisait. Ses doigts emmêlés dans le drap de son lit. Elle était là, couchée, fatiguée, emplit de peur et de douleur. Son rêve se réalisait. Devenir mère, donner la vie, un héritier à son mari. Autour d’elle, ses domestiques étaient tendues. Personne ne savait mettre au monde un enfant et leur dame ne pouvait plus se rendre à la clinique. « Où est le médecin ? » demanda-t-elle essoufflée après une nouvelle contraction. Les heures passèrent et rien ne changeait. Tout ce qu’elle pensait, c’était à se libérer. « Où est mon mari? » questionna-t-elle. « Il est sur la route madame ! Tout va bien se passer; Respirez » lui répondit sa dame de compagnie. Un hurlement lui répondit alors qu’une autre dame de compagnie lui intimait de pousser. « Je vois pas la tête ! Madame, poussez » . Elizabeth donna cet ultime effort avant de retomber, épuisée sur le matelas. Un cri se fit entendre, les pleurs d’un nouveau né. Un rire heureux et nerveux secoua la nouvelle mère alors qu’on lui posait le bébé au creux de ses bras. « Mon dieu, c’est mon bébé ! Mon petit bébé » s’extasia-t-elle en couvant le nourrisson d’un regard énamouré. « C’est un magnifique petit garçon madame » . Les félicitations défilèrent avant que tout ne soit interrompu par l’arrivée fracassante du père, trempée, un sourire idiot aux lèvres. « Un fils? » demanda-t-il à sa femme épuisée. Celle-ci hocha simplement la tête. Heureuse. « Comment allons-nous l’appeler Henry? » lui demanda-t-elle. Son époux eut un instant de réflexion avant de poser sa large main sur la tête de son fils. « Nous allons l’appeler Emery. A l’instar de son grand-père, il est destiné à faire de grande chose. » fit Henry McHunt. Les deux parents s’embrassèrent avant que les dames de compagnies n’interviennent pour finir de soigner et de laver l’enfant.

Cinq ans plus tard, un gamin brun aux yeux bleus faisait trembler les murs de la maison alors que sa mère se trouvait à l’hôpital où son deuxième fils venait de naître. « Maître Emery, ne courrez pas dans la maison, vous allez vous blesser » lui intima désespérément le majordome. Emery McHunt. Cinq ans et déjà un caractère très affirmé. Si vous lui demandiez ce qu’il comptait faire de sa vie, il vous dirait sans hésiter, droit dans les yeux : comme papa. Cela avait le don de faire rire ce dernier mais aussi de faire sa fierté. Le petit garçon, du haut de son si jeune âge, montrait un intérêt à tout ce qui l’entourait, essayant toujours d’être le meilleur en tout. Et il y arrivait. Déjà, à l’école privée, il se montrait plus qu’à la hauteur des attentes de ses professeurs. Aujourd’hui, il profitait des vacances de Noël pour se détendre et faire tourner en bourrique le personnel de maison. Emery n’était pas non plus un enfant tyrannique mais comme tout bambin, il adorait faire des bêtises. A la seule différence, c’est qu’il trouvait toujours une bonne excuse pour ne pas se faire punir. A croire qu’il possédait les gênes de son père, qui maniait les mots comme un chef d’orchestre mène ses musiciens. Quoi de plus naturel pour un banquier. « Maître Emery ! Soyez raisonnable ! Vous ne pouvez pas faire cela dans la maison » . Le majordome allait finir par rendre son tablier à force de courir après ce chenapan. Si seulement ses parents ne lui cédait pas à tous ses caprices. « Un enfant gâté, moi je vous le dis » pensa-t-il à haute voix.

« Maître Henry, avez-vous vu votre frère? » Demanda le majordome. « Non Charles, je crois qu’il était dans la serre avec mère. » lui répondit Henry McHunt, deuxième du nom. Du haut de ses sept ans, il était le plus responsable des deux frères mais malheureusement, il vivait toujours dans l’ombre de son aîné. Admiré de ses pairs, Emery réussissait tout ce qu’il entreprenait. A croire qu’il lui suffisait de toucher une chose pour la faire se transformer en or. Toutefois, au fil des années, le fougueux bambin se révélait être un presque adolescent calme, réfléchit et emplit d’ambition. On pouvait voir qu’il alliait à merveille la beauté de sa mère et le charisme de leader de son père. Un parfait mélange. Henry avait certes lui aussi hérité de la beauté d’Elizabeth mais il était trop introverti pour savoir s’imposer. « Il est encore jeune ma foi » se dit Charles, le majordome de la famille. La seule chose qu’il l’inquiétait, était cette petite compétition qui s’installait entre eux. Emery ne la voyait pas, ou peut-être préférait-il ne pas en prendre conscience. Tout le problème résidait dans le caractère d’Henry qui supportait de moins en moins, de toujours être comparé à son illustre aîné. Ce dernier ne se montrait pas pour autant arrogant. On pouvait dire qu’il veillait sur sa famille et notamment sur son frère et sa sœur, avec la bienveillance d’un parent aimant. Le plus jeune ne le voyait tout simplement pas. « Ah, maître Emery, votre voiture est arrivé. Il est l’heure de rejoindre Londres pour vos études. » Lui signala le vieil homme. Emery soupira avant de poser un baiser sur le sommet de la tête, de sa petite sœur de trois ans. « Bien Charles. Accordez-moi, cinq petites minutes supplémentaires. » , « Bien monsieur. » Eut-il en réponse. L’adolescent de douze ans se retourna vers sa mère, un regard attristé. « Mère, suis-je vraiment obligé d’aller si loin de vous pour mes études? » la questionna-t-il. Elizabeth l’attira dans ses bras, dans une étreinte affectueuse, maternelle. « Votre père est allé dans cet établissement très réputé. Vous devez vous plier à la tradition. » Expliqua calmement la mère à son enfant. Et il partit faire ses études dans ce collège privé où encore une fois, il se fit remarqué par son envie de réussir, par ses capacités à s’imposer en tant que leader. Élu au Conseil des élèves, Emery faisait la fierté de ses parents. Henry espérait même secrètement que son aîné reprenne la banque à sa majorité. Un espoir non vain car son fils ne cachait nullement ses ambitions.

« 18 ans, c’est un âge où mon fils, nous faisons des projets et surtout, là où notre avenir se joue. » énonça calmement son père alors qu’ils se trouvaient dans le bureau de ce dernier. « Tenez, vous avez le droit à votre premier verre de scotch. Savourez-le. Une tradition qui se transmet de père en fils, de génération en génération. » Continua-t-il tout en servant un verre à Emery, qui se tenait bien droit, un fin sourire aux lèvres. De l’eau avait coulé sous les ponts depuis ses douze ans et aujourd’hui, il se présentait face à son père, avec la sensation d’avoir réussit. Ses études brillantes démontraient son envie d’être le meilleur. Il ne se contentait pas de vouloir, il l’était. « Oui père. Au sujet de projet d’avenir, il y en a un qui me tient à cœur. » Commença le plus jeune. Henry McHunt qui se doutait très bien de ce qu’il en retournait, encouragea son fils à poursuivre sur sa lancée. « J’ai ouïe dire par mère et par certains journaux spécialisé, que vous comptiez ouvrir une succursale en Amérique. » Un large sourire étira les lèvres du père McHunt. « C’est exact fils. » lui répondit-il. « J’aimerai que vous me nommiez directeur, je souhaite développer cette banque pour vous. Je suis à la hauteur pour ce travail, Père. » Reprit Emery, avec une certaine suffisance dans sa voix. Ce soir là, le père et le fils conclurent un accord. Emery s’en volerait pour les Etats-Unis, quelques jours après pour permettre d’assister à l’ouverture de cette nouvelle banque. Cet accord allait non seulement lui permettre d’asseoir son ambition mais aussi sa destinée.

« Soyez prudent mon fils ! » l’implora sa mère, la larme aux yeux. Sa petite sœur Sarah, qui atteignait maintenant les neuf ans, pleurait dans ses bras. Emery tenta de ne pas se laisser submerger par l’émotion. Il se devait de rester digne. Seul son frère lui soufflait le froid mais l’aîné pouvait voir qu’Henry junior était réellement attristé par le départ de son frère. Une brève accolade se joua entre eux avant qu’Emery ne prenne son avion, pour l’Amérique. Un certain calme l’habitait. C’était tout ce qu’il avait voulu depuis des années.

Après quelques heures de vol, Emery atterrissait dans un petit aéroport de Virginie. Un nouveau monde s’offrait à lui et il était bien décidé à le conquérir. Un simple sourire étirait ses lèvres, lui conférant un charme de jeunes premiers. Ses pas étaient rythmés sur son ambition. « Monsieur Emery McHunt ? » le héla un homme dans la quarantaine. Tout de noir vêtu avec une casquette à visière, il eut tout loisir de l’identifier. Le chauffeur qu’avait embauché son père pour le conduire à ses nouveaux appartements. « C’est exact. Vous devez être William Durych? » lui demanda-t-il avec ce petit accent anglais qui lui collait à la peau. Le chauffeur hocha la tête avant de lui signaler qu’on s’occupait déjà de ses bagages. Tant mieux pensa Emery. Une corvée de moins. Depuis sa plus tendre enfance, il était habitué à ce que l’on fasse ses moindres envies et caprices. Si au fil des années, il s’était assagie, il n’en restait pas moins qu’il appréciait cet état de fait. « Il fait plutôt chaud pour ce mois de septembre non? » demanda-t-il, une fois installé à l’arrière de la voiture, un journal économique entre les mains. « C’est assez rare par ici. La virginie est connue pour son temps pluvieux, monsieur » . Dans son fort intérieur, Emery songea que cela ne le changerait pas trop de Londres où il fait bon d’avoir un parapluie à portée de main. Durant deux heures, la voiture fila sur les routes avant qu’un bruit suspect ne les arrête sur le bord de la route. « Que se passe-t-il William? » demanda Emery. « Je ne sais pas Monsieur. Je vais regarder cela au plus vite » . Au bout d’une heure, le chauffeur du rendre les armes. Il n’avait aucune idée de l’origine de la panne. « D’après ma carte, il y a une petite ville du nom de Babylon, elle devrait se situer à trois kilomètres. » lui annonça l’employé. Emery soupira. Trois kilomètres? Tant pis, ils n’allaient pas s’éterniser ici alors que la nuit n’allait plus tarder à tomber.

« En effet, c’est une petite ville. » dit Emery, sur un ton laconique. C’était bien loin de ce qu’il avait l’habitude de côtoyer mais pour une nuit, cela ferait l’affaire. « Je vais aller voir au garage, s’ils peuvent faire remorquer la voiture. » l’informa William. D’un hochement de tête, il signala son accord. Son esprit était clairement focalisé sur le fait de trouver un toit pour la nuit. Est-ce qu’au moins cette ville possédait un hôtel digne de ce nom? La réponse lui arriva rapidement en la personne d’un brave gamin. Non. Toutefois, il y avait bien une auberge au nord de la ville. Très bien. « Merci bonhomme » le remercia-t-il en lui glissant un petit billet dans la main. Ce fut la dernière fois que l’on entendit parler de l’héritier des banques McHunt. Sa famille le cherchera pendant des années en vain avant d’abandonner tout espoir de revoir l’aîné de la famille en vie. Que s’est-il passé sur le chemin le menant à l’auberge? L’enquête conclura que William Durych avait kidnappé Emery McHunt pour une demande de rançon mais qu’il avait paniqué et que cette panique avait causé la mort de leur fils. Le chauffeur fut condamné à la peine de mort par électrocution.

Toutefois, le corps d’Emery ne fut jamais retrouvé ! Comment aurait-il pu retrouver un homme qui selon toute vraisemblance médicale, était bel et bien mort, mais contre tout attente logique, vivait, marchait encore ? Car Emery n’était pas mort des mains de William mais d’un vampire. Les créatures inventées de toutes pièces par les légendes urbaines. Emery ne sut jamais qui l’avait transformé, tout ce dont il se souvient, c’était de s’être perdu sur le chemin le menant à l’auberge et de s’être retrouvé à la lisière d’une forêt. Puis, cette attaque, de ce qu’il avait cru un animal sauvage. La morsure puis.. Cette douleur. Une véritable déferlante de souffrance qui lui avait arraché les cordes vocales à force d’hurler de peine. Trois jours interminables, plongé dans les flammes de l’enfer avant d’atterrir dans ce froid glacial. Et à son réveil cette soif sans commune mesure. Une soif des plus dévastatrice, une envie de sang. « Monstre » . Ce fut son premier mot à l’aube de sa renaissance.

Des années plus tard, sept ans pour être tout à fait précis. Cette impression ne s’était en rien arrangée. Pour Emery, il était devenu un monstre, un suceur de sang, une créature du diable. Comment pouvait-il en être autrement? Il tuait, chassait avec la plus grande application des humains, des animaux. Tout ce qu’il lui passait sous les crocs. A ses côtés, le plus souvent, se tenait silencieusement Lisbeth. Ils avaient été transformés à la même date, s’étaient réveillés au même instant et effectué leur première chasse ensemble. Néanmoins, une différence de taille les séparait : elle avait souhaité être un monstre, lui non. Parmi son clan, les Cruor ac Corpus, Emery dépérissait. Il n’existait plus rien de sa vie d’avant, de son ambition, de ses rêves, de son caractère de leader. Plus rien. Tout ce qu’il était devenu, c’est cet être froid, solitaire et dépressif. La seule chose qui lui donnait un peu de baume au cœur était la musique, le piano. Seulement ses mélodies restaient tristes, nostalgiques. On pouvait sentir à travers sa musique, tout son désarroi, sa peine. Même la guerre qui se profilait à l’horizon ne le sortait de son enfermement. Bien sûr, il se battrait mais pas par conviction, ni par envie. Simplement par instinct de survie.