« Faisons-le alors. »
Windell se souvenait encore des paroles qu’il avait prononcé après cette affirmation de Natenska. Tous les regards s’étaient tournés vers lui. Verona avait tenté de protester mais rapidement, elle avait dû admettre que c’était la seule solution. Les sœurs Taylor étaient bien trop connues, jamais ils ne tomberaient dans le piège. Jamais ils ne croiraient que ne serait-ce que l’une d’elle, même la cadette, aurait pu tomber dans le piège. Quant à Leroy, il s’était contenté de garder le silence, de laisser le vétéran se proposait, bien trop content de se débarrasser enfin de lui. Windell savait parfaitement que c’était une entreprise risquée. Même au Vietnam, il n’avait jamais pris autant de risque et jamais aucune des expéditions auxquelles il avait participé n’aurait pu le mener à une mort douloureuse comme celle qu’il s’était apprêté à affronter. Mais sur le moment, ça avait été la solution inévitable, la seule à vrai dire qu’il lui était passé par la tête. Mais pour dire la vérité, même s’il savait que ce qu’il avait décidé était juste, il s’en voulait quelque peu. Il s’interrogeait sur son acte de bravoure et de folie passagère.
« AVANCE ! »
Le vampire lui donna un nouveau coup, le faisant plier sous la violence du choc. Non, ce n’était peut être pas une si bonne idée que ça. Vraiment pas. Il aurait peut être dû laisser Leroy servir de chair à dent. Windell grommela tandis que le poids sur sa poitrine comprimait ses poumons, lui donnant de plus en plus de mal pour respirer. Ils s’approchaient de Babylon. Et jamais Windell n’avait encore senti sa faiblesse toute humaine. Il ne faisait pas le poids. Même lors de l’attaque d’avril dernier, même lorsqu’ils s’étaient retrouvés en terrain ennemi, lui et Verona, il n’avait ressenti le déséquilibre flagrant qu’il y avait entre ces monstres d’acier et ces êtres de chair et de sang qu’ils étaient. Comment avait-il pu croire qu’il allait s’en sortir vivant ? Même tout avait été préparé, même si tout avait été minutieusement discuté, il n’avait aucune chance. Rien ne pourrait le sortir lorsque les enfers seraient déchaînés une fois de plus sur ce paisible village de montagne.
Il n’avait pas trop eu à se forcer pour se faire repérer par le vampire. Après tout, malgré ce qu’il passait son temps à rétorquer, Leroy avait raison. Il n’était qu’un débutant et il n’avait pas encore pu acquérir toutes les techniques de combat, de furtivité, techniques essentielles pour se sortir vainqueur d’une traque de vampire. Bien sûr, il savait se battre, bien sûr il savait se fondre dans la masse et dans le décor sombre et brun des montagnes. Seulement, ces créatures étaient quelque peu différentes des ennemis qu’il avait combattu pendant la guerre. Il pouvait se recouvrir de boue autant qu’il le voulait, il pouvait se planquer admirablement derrière les buissons, il ne pourrait jamais renier sa nature. Il ne pouvait forcer son cœur à cesser de battre pour ne pas venir chatouiller les oreilles attentives du monstre qu’il traquait. Il ne pouvait vaincre l’odeur profondément humaine du sang qui parcourait ses veines pour ne pas venir chatouiller l’appétit de cette évolution monstrueuse de l’espèce humaine. Quoi qu’il fasse, il ne pouvait renier ce qu’il était profondément au fond de lui même. Alors, ce n’avait pas été trop difficile pour la créature de lui mettre la main dessus. Et Windell se consumait de rage, non pas parce qu’il s’était fait prendre – c’était le but après tout – mais parce qu’il s’était fait repéré et vaincu aussi rapidement.
« Avance. »
Le dernier coup, le dernier pas, et le voilà en plein milieu de la place. Il trébuche et tombe. Il grimace sous l’effet de la douleur et jette un coup d’œil sur la paume de sa main que le macadam vient d’écorcher. Il doit très certainement embaumer l’air d’une délicate odeur de rouille, une odeur de sang pour toutes ces sangsues en folie. Il finit par enfin remonter la tête et un hoquet de surprise franchit ses lèvres. Il ne reconnait plus Babylon. Elle a tellement changé. Tout a tellement changé. Les murs, les maisons, le sol, l’ambiance. Tout sent la mort à plein nez. Il prend une profonde inspiration et se redresse, grimaçant tandis que le vampire qui l’a amené lui tourne autour, appelant ses congénères. Mais il n’avait pas besoin de le faire. Tandis que le chasseur se relève difficilement, il se sent la proie des regards entre hostile et faim, jouissance et douleur. La foule est éparse mais partout le même visage, beauté glacé et regard pourpre. Et pour la première fois de sa vie, il a peur, vraiment peur. Son cœur bat à la chamade sans qu’il puisse l’en empêcher, approfondissant sans doute l’illusion qu’il était sensé créé. Une illusion qui est pourtant des plus réelles. Ce n’est que la vue décharnée des quelques visages humains parmi ces êtres de marbre qui lui donne la force de se redonner une contenance. C’est pour eux. Il croise le regard de Mayra et un sentiment de remord lui bouffe les entrailles. Comment ont-ils pu les abandonné ? Quels genres de monstres sont ces vampires ?
« Regardez ce que je vous amène ! » parade le vampire. Plus pour très longtemps pense le chasseur dont le regard sombre s’éclaire d’une lueur fugace mais déterminée.